On la croise souvent, Charlie, au troisième étage du MI6 de Londres. On laisse ses yeux s’aventurer dans sa tignasse ambrée, glisser le long de ses pommettes rosées, sauter pleins d’enthousiasme dans son décolleté. Alors qu’elle s’approche, on ose apprécier ses formes, on en oublie presque qu’elle continue d’avancer. C’est son regard qui rattrape l’intrépide, rouspète, le rappelle à l’ordre. Elle accorde le seul droit de visiter ses pupilles noisette en plissant son front blanc, fronçant ses sourcils sombres. Et on s’en estime heureux, on obéit, on plonge ses yeux dans les siens, on la regarde tordre ses lèvres en un sourire, allant chercher d’urgence une formule de salutation appropriée au fin fond de ses cordes vocales. Elle hoche la tête, échange quelques mots avec vous, peut-être, c’est doux, c’est agréable, le moment est déjà passé. Mais aussi brève la rencontre est-elle, on ne peut s’empêcher de se demander à qui appartient la silhouette qui vient de disparaitre à l’angle du couloir. A l’étage on chuchote sur son passage et un murmure plus distinct s’élève. On cherche à savoir qui est Charlie Gallagher.
Certains lèvent le doigt plus haut que les autres, parce qu’on sait déjà qu’elle profite des lois anglophones pour utiliser son deuxième prénom, Charlie, mettant un voile sur le premier, aux consonances parisiennes. On se souvient alors, que oui, sa mère est française, qu’elle lui a même donné naissance dans la capitale, qu’elle a la double nationalité. Tout de suite, on se précipite derrière elle, pensant la séduire en lui parlant de la Tour Eiffel, des baguettes de pain et de St Tropez. Elle continue de sourire et sans trop savoir pourquoi, on se retrouve déjà bien loin d’elle. Elle est si discrète, Charlie, si douce, qu’elle peut faire entendre un «
non » sans le prononcer. Si secrète mais tellement criarde.
Bien sûr, on ne sait pas - ou alors peu - qu’elle a raté ses études de médecine, entamées à son arrivée à Londres, à sa majorité. Manque de motivation ? Plutôt manque de confiance en soi, tout a toujours tourné autour de ça. Sa tête est remplie de petits nuages noirs lui aboyant des insultes à longueur de journée. Ce n’est pas son père, ce n’est pas sa mère. Ce sont plutôt ces mômes lui courant après, braguette ouverte, dans les soirées lycéennes de Paris. Ils la savaient belle, ils la savaient candide. Trop naïvement, elle en a vu passer une ribambelle où l’histoire finissait toujours de la même façon ; ils se lassaient, elle pleurait.
Alors oui, elle a choisi d’être infirmière, son bon fond de gamine aimée criant à l’injustice à chaque fois qu’un blessé lui passait devant le nez. Peut-être que si elle en parlait, on se plairait à lui dire qu’elle s’occupe des autres à défaut de s’occuper d’elle-même. On lui conseillerait d’arrêter de prendre les pilules de ses patients et d’aller cueillir les roses de la vie. On lui cracherait des «
Enjoy, you’re beautiful » à la figure pour lui arracher un sourire sincère, juste une fois.
Sans la connaitre, on a conscience du fossé qu’elle a creusé entre elle et l’apparence qu’elle octroie aux autres. On comprend bien que quelque chose gâche le tableau, que l’image qu’elle montre à l’extérieur n’est qu’une peinture fade et plate. Il manque des défauts, il manque des larmes, il manque du gris.
Une sorte de protection dit-on. Une coquille qui rend en fait plus vulnérable à l’intérieur ; la peau de la tortue est beaucoup plus fine sous sa carapace qu’en dehors. Toucher l’endroit le plus sensible, c’est faire déborder le vase. C’est ce qu’ont fait les méchants, les mauvais, les filous. Ils ont appuyé là où ça fait mal puis lui ont montré qu’ils pouvaient tout réparer, lui offrir des pansements en Livres Sterling.
On la savait douée de ses mains, on l’a embauchée pour s’occuper des espions les plus protégés du Royaume Uni. On la sait maintenant douée de manque affectif, on comble le vide par l’argent en récupérant les dossiers médicaux des doubles-zéros.
L’argent fait peut-être le bonheur, mais ce qui est drôle, c’est que depuis que Charlie Gallagher se fait appeler Dickens et livre des dossiers scellés à des inconnus, sa consommation de mouchoirs et d’antidépresseurs n’a jamais été aussi forte. +
POURQUOI ES-TU PLUTÔT AVEC LES MÉCHANTS ? Parce que ça paie mieux, tout simplement. C'est bien connu, que ce soit pour le côté noir de la force ou pour les terroristes extrémistes, on gagne à être méchant. Et puis, franchement, ça donne un peu de piment à une vie.
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DANS QUEL DOMAINE OPÈRES-TU ? Etant infirmière au MI6, j'ai accès aux dossiers médicaux de tous les agents du groupe, dossiers particulièrement prisés de diverses entreprises à mauvaises intentions. Alors quand quelqu'un vous demande de lui faire des copies de tel ou tel dossier en échange d'une grosse liasse de billets, même si vous ne savez pas vraiment ce qu'il en est, vous dites oui.
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POURQUOI ES-TU UN SI BON AGENT DOUBLE ? Mon métier, à l'origine, me permet d'avoir un contact et un lien de confiance avec les agents au MI6. Je fais bonne figure, parce que je suis jolie, infirmière et que je suis censée aider, calmer la douleur. C'est cette innocence qu'on m'attribue aveuglement qui me rend si efficace.
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ET QUELS SONT TES POINTS FAIBLES ? Fragilité émotionnelle ? Capacité à pleurer des litres d'eau en très peu de temps ? Accumulation de pilules multicolores ? Je suis très influençable, et particulièrement instable. Une vraie marionnette en fait, ou une machine à catastrophes. A manipuler avec précaution.
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PLUTÔT MANIPULATEUR OU MACHIAVÉLIQUE ? Plutôt manipulée en fait.
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TON OBJET FÉTICHE ? Ma Terracotta de Guerlain. Ça fait maintenant trois ans que j'ai la même boite, elle commence à être un peu vide.
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PARLE MOI DE TES PENCHANTS AMOUREUX ET DE TA SITUATION ACTUELLE ? Une relation amoureuse, c'est par définition une arrivée massive de problèmes en tous genres. Ce n'est pas faute d'avoir essayé. Que ce soit femme ou homme, j'ai toujours fini dans un coin de salle de bain avec un paquet de mouchoirs et des trainées de mascara sur les joues. Alors dans l'état actuel des choses, ce serait courir au suicide que de tomber amoureuse.
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ET TON PIRE CAUCHEMAR ? Que quelqu'un découvre mon gagne-pain officieux. Et que je finisse en prison. La taule, c'est un peu mon épouvantard moldu.
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QUE DIRE DU NOM QUE TU UTILISES POUR TES ESPIONNAGES ? Je travaillais au MI6 avant d'être appelée à distribuer des informations secrètes, j'utilise donc mon véritable nom dans l'enceinte des services secrets. Quand mes employeurs officieux ont besoin de moi, ils utilisent "Dickens", de Charles Dickens, parce que Charlie.
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QUEL A ÉTÉ TON ESPIONNAGE LE PLUS RÉUSSI ? Je n'aime pas trop faire un classement avec ça. Je me contente d'encaisser la monnaie et de passer à la suite.
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ET TA PLUS GROSSE DÉFAITE ? La défaite, c'est l'infiltration toute entière. Je m'en veux énormément de m'être laissée entrainer dans cette boucle infernale dont je ne peux sortir. Je suis un échec.
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TA PIRE ADDICTION ? Les antidépresseurs. Qui ont le don d'amener la dépression.