Les bras de mon amant se referme sur mon corps et me ramène à lui, tandis qu’il embrasse le haut de mon crâne. Un ronronnement digne d’un chat s’échappe de sa gorge et je relève la tête pour l’embrasser tendrement. Je fais courir en même temps mes doigts sur son torse et joue avec le duvet fin qui recouvre ses pectoraux. Il assène une petite tape et je couine en retirant ma main. « Tu sais que je n’aime pas qu’on touche à ça. » Il désigne d’un air dédaigneux les poils blonds. Il les déteste, mais les garde par souci de virilité. « Tu es ridicule. Je vais leur faire la peau, moi, à tes poils ! » Il parti d’un grand éclat de rire et m’embrassa derechef. J’étais tout à fait sérieuse. Ne restait qu’à attendre qu’il s’endorme pour rendre imberbe son torse. Son sculptural torse, devrais-je dire. Son poste d’agent 00 au MI6 lui assurait un corps taillé dans la roche, de dieu grec. Bien sûr, Seth possédait le même, mais au bout de dix années, je m’étais lassée, physiquement et moralement. N’être plus qu’une épouse, une présence rassurante dans la cuisine me pesait terriblement. Ici, dans les bras de Wade, j’étais redevenue une femme à part entière, autre chose qu’un robot sans cœur ni sentiments, juste bon à amener le porridge au petit déjeuner. « Je te déconseille de faire ça, Val’. De toutes façons, je ne dors pas tant que tu n’est pas partie. On sait jamais, avec toi. » J’esquisse un sourire et me glisse hors du lit, nue. « Tu fais quoi ? » « Je t’évite l’insomnie et je rentre chez moi. » Pendant que j’enfile ma jupe droite, il prend une expression indéchiffrable. « Valentine, si tu veux, ta maison, c’est ici. » Je m’arrête net et le bas couleur chair retombe sur ma cheville. « Vraiment ? Je croyais que tu ne voulais rien d’officiel… » « J’ai dit ça, mais c’était au début… Maintenant, c’est différent. » Je reste interdite quelques instants, dévisageant Wade et son visage impassible. « J’en ai assez de devoir te voir pendant les missions de ton mari, de ne pas pouvoir t’emmener avec moi, ne pas pouvoir m’afficher avec toi. Je n’ai pas l’intention de t’abandonner à la même routine, même si moi aussi, je suis un agent de terrain plutôt acharné. Tu mérites mieux. » Cette presque déclaration d’amour me laisse sans voix et je termine de m’habiller dans le silence. « Dis quelque chose, Valentine… » « C’est d’accord. Laisse-moi juste lui annoncer. Laisse-moi quelques jours… Mais d’ici la fin de la semaine. Je serais là, je te promets. » J’enfile mes chaussures, prend deux minutes face au miroir pour me recoiffer, me remaquiller, puis m’approche du lit. En souriant, je prends la main de Wade et il m’attire contre lui, m’embrassant passionnément. C’est tout ce qui me manquait. La passion brûlante, à l’état pur.


Voilà trois jours que je tourne en rond, que je cherche la meilleure façon de parler à Seth de ma décision de partir avec un autre homme. Je n’ai pas l’intention de lui dévoiler l’identité de mon amant. Savoir que Wade est agent 00, un statut auquel Seth aspire depuis des années, le blesserait trop. Et je ne fait pas ça pour lui faire du mal, mais uniquement pour me soigner, me guérir des années d’indifférence. Avec un soupir, je sors la cafetière de sa base et verse le liquide brûlant dans deux tasses avant d’ajouter une dose de lait à la mienne. J’entends Seth qui dévale l’escalier quatre à quatre, au risque de se briser le cou. Ah, voilà que je m’inquiète pour lui, alors que bientôt, ça ne sera plus mon rôle. Je saisis les deux tasses et quitte ma cuisine, allant à la rencontre de mon mari ; Il est debout dans l’entrée, bataillant avec sa cravate. Sans un mot, je lui abandonne les tasses fumantes et entreprend de nouer correctement la bande de tissu. J’évite soigneusement son regard inquisiteur. Il sait, j’en suis sûre. Il a repéré mon manège de ces derniers jours, décelé mon inquiétude latente. Peut-être est-il meilleur psychologue que moi. Je remonte le nœud de la cravate et récupère mon café pour y tremper les lèvres. « Valentine… » Je relève la tête en entendant mon prénom. La douleur que j’entends dans sa voix me blesse. Il se doute qu’il y a quelque chose et cherche à me faire capituler, à m’apitoyer sur lui, pour s’assurer de ma fidélité. « Ils m’ont proposé une nouvelle mission… » Tout change. Il se fiche que je sois là ou non. Je suis un accessoire dans sa vie régie par l’agence qui l’emploie. « C’est M que tu aurais dû épouser. » Ma voix n’est qu’un murmure amer, pleine de ressentiment. Peu importe pour lui qu’il y ai quelqu’un à la maison, après tout. Il se débrouillerait mieux sans moi. Les restaurants du coin pour manger, le pressing pour ses vêtements, le ménage, on verra plus tard. Ces pensées me conforte dans mon idée de partir avec Wade. « Je te préviens… Si tu acceptes cette mission, je ne serais plus à la maison à ton retour… » Il me lance un regard froid, puis sa main se crispe sur la poignée de porte. « Parfait, faisons comme ça. » Sa voix est dure, sans sentiment. Il claque la porte sans un regard et je m’écroule.



Le téléphone sonne et me fait sursauter. Depuis ce jour où M m’a convoquée dans son bureau pour m’annoncer la capture de Seth, je suis sous tension, littéralement fébrile. Pour tromper mon angoisse, je passe mon temps au bureau (je n’ai jamais été aussi productive) ou à la maison, à faire le ménage (elle n’a jamais été aussi propre et rangée). Je jette un regard apeuré à l’appareil qui continu de carillonner sur son socle, comme s’il était un serpent à sonnette plutôt qu’un simple objet de communication. Je finis par décrocher, tremblante. « Hepburn, j’écoute. » « Votre mari est en train de dévaster les bureaux du dernier étage. » L’annonce est un électrochoc. Seth est vivant. Il est ici, au MI6. « J’arrive. » Je raccroche et reste interdite quelques instants, avant de me lever comme un automate. Je me dirige lentement vers les ascenseurs et pénètre dans l’une des boîtes de conserve géantes. Là, j’en profite pour tirer sur mon tailleur, dans une vaine tentative pour lisser les plis. Considération frivole et typiquement féminine, j’en conviens. Mais les mois d’absence de Seth m’ont marquée, physiquement. J’ai perdu du poids, et mon visage n’est plus aussi frais qu’auparavant. Les cernes sont apparues, les valises se sont installées, les rides sont un peu plus marquées chaque jour. Enfin, je fais mon âge. Moralement aussi, je suis atteinte. J’ai essayé d’être forte, mais une idée m’obsède. Si je ne lui avait pas posé d’ultimatum le jour de son départ, peut-être n’aurait-il pas eu la sensation de n’avoir plus rien à perdre et peut-être aurait-il été plus prudent. Le sentiment de culpabilité m’a poursuivie jour et nuit, jusque dans mon sommeil. Wade avait essayer de me soutenir, mais sa vue me dégoûtait. Il incarnait maintenant tout ce que je me reprochais ; l’adultère, la frivolité, l’insouciance et le manque de maturité. Je ne voulais plus être cette femme qui fait passer ses propres sentiments avant son couple. Lorsque l’ascenseur me crache au dernier étage des locaux du MI6, c’est un autre choc. Seth est bien là, vivant, entier, debout. Mais il a changé du tout au tout. Ses cris furieux résonnent dans les bureaux, son visage est terriblement amaigri, marqué par la captivité, les blessures. Les autres ont beau essayer de l’arrêter, rien ne semble pouvoir se mettre en travers de son chemin. Les insultes qu’il profère à l’encontre de M semblent présager une mauvaise issue à l’entretien qu’il réclame avec notre patronne. Il est fou de rage et de haine contre l’agence, hurlant haut et fort que si chacun avait fait son boulot, ça ne serait pas arrivé. Mais de quoi parle-t-il ? De sa capture ? Soyons réalistes, s’il avait été pris en mission, alors la faute lui incombait. Dans ce cas, il devait sans doute reprocher au MI6 son manque d’enthousiasme à le ramener ici. Car visiblement, il s’était débrouillé seul pour rentrer à Londres, par Dieu sait quel moyen. Beaucoup d’agents s’étaient regroupés pour observer la scène qui se jouait devant leurs yeux, les plus téméraires barrant la route de Seth. La plupart restaient cependant sagement sur les côtés, les plus proches me jetaient des coups d’œil apeuré, semblant de supplier de faire quelque chose. Je restais silencieuse, attendant que les tours que Seth faisait sur lui-même l’amène à repérer mon visage et à se calmer. Mais rien ne se passait, et il semblait sur le point de démolir un collègue quand je me décidais à élever la voix. « Seth Oscar Hepburn, arrête ça tout de suite ! » J’étais moins assurée que je voulais le croire et un tremblement transperça dans ma voix. Un instant, Seth chercha l’origine du son, puis son regard se posa sur moi. Ce que j’y vis me terrifia. Toute la haine et la colère qu’il avait dû accumuler durant sa détention brûlait dans ses yeux. « T’es morte Valentine, morte ! Viens pas me faire chier maintenant. » Les mots me font sortir de mes gonds. J’ai l’air morte, peut-être ? Passablement harassée par les quatre mois écoulés, d’accord. Mais morte ? La colère fit monter des larmes à mes yeux, et je bousculais les gens devant moi pour me ruer sur Seth. La gifle retentit bruyamment dans la pièce, réduisant au silence Seth et tous les autres agents présents du même coup. Lorsqu’il tourna la tête pour me dévisager, je pus voir qu’il était calmé, du moins pour l’instant. Il croisa mon regard et je ne cillais pas. Parce que j’avais peur que les larmes ne coulent sur mes joues et que je ne puisse plus les arrêter, mais aussi parce que je ne voulais plus jamais lâcher ses yeux. Je ne voulais plus jamais avoir à repasser par le chemin de croix que m’avait imposé son absence. Je savais d’avance que je deviendrais paranoïaque si Seth devait s’absenter à nouveau plus de deux jours. Je lui rendrais la vie impossible, quitte à l’attacher aux meubles s’il le faut, mais plus jamais il ne repartirait comme il l’avait fait. Finalement, il baissa les yeux le premier, et son regard tomba sur ma main gauche et mon alliance. Il ôta d’une chaîne à son cou un anneau sali, que je ne reconnu pas tout de suite, jusqu’à ce qu’il le mette à son doigt. Je détournais les yeux et battis un instant des cils, pour me débarrasser des larmes qui obstruait ma vue. « Je pensais que tu ne serais plus là à mon retour. » Je lui lançais un regard de mort, avant qu’il n’esquisse un sourire attendri et porte sa main à ma joue. J’hésitais à l’embrasser lorsqu’un jeune homme interpella Seth. Il acquiesça puis se pencha, avant de m’embrasser tendrement. Ma main vint agripper un instant sa chemise défraîchie, puis il se détacha avec un sourire tendre et heureux. « Seth… Je t’attends ici… »