Why so serious ?

La gare. Ce n’était pas le lieux préféré de Cora, et elle ne s’y trouvait que pour une seule raison : elle venait de revenir à Londres. Une micro-mission express. De quoi lui faire quitter la ville deux jours pour une analyse de la situation, et revenir. Elle n’était jamais tellement détachée de son ancien rôle de criminologue, elle était même agent parce qu’elle savait lier les deux emplois en un, sans avoir aucune attache, jamais. Cora n’était pas le genre de femme à avoir des attaches. Vêtue d’un tailleur sombre à la jupe plutôt courte, sans être vulgaire, elle avançait calmement, ses talons noirs et vernis émettant un bruit régulier sur le sol. Enveloppée dans un long manteau tout aussi obscur, fermé et agrémenté d’une ceinture, elle était une simple silhouette parmi tant d’autres, passant inaperçue, ou ne restant que peu de temps en mémoire. Ses longs cheveux bruns attachés en un chignon parfait, elle s’efforçait de paraître indifférente aux passants, indifférente au monde en lui-même. Être au Mi6 impliquait une solitude quasi permanente, ou du moins l’impossibilité de réellement s’établir dans une vie normale. Pour Cora, c’était une échappatoire. Son propre nom était le symbole de son cauchemar. Un cauchemar chassé par l’activité, et récemment par sa rencontre avec un terroriste. Une rencontre bouleversante pour ses principes.

Les pensées voguant vers cette soirée étrange dont les effluves d’alcool avaient rendu le souvenir plutôt flou sur certains points, miss Vasilis ne remarquait pas vraiment ce qu’il se passait autour d’elle. Elle avait un chemin à prendre, un taxi à trouver – diable que ce serait compliqué – et un lit à rejoindre, après une bonne douche évidemment. Oh oui, elle rêvait d’une douche brûlante pour détendre ses muscles fatigués de ces dernières 48 heures infernales. « La reine des glaces cherche-t-elle le chemin du retour au royaume ou je lui manquais tant que ça ?? » Ses pas se stoppent brusquement et la démarche gracieuse, légère, se fige. La brune cherche du regard d’où peut provenir la voix bien trop familière à son goût et repère, non loin, l’homme de toutes les attentions : celui qui la taquinait si bien. En toute ironie, pour sûr. « Je suis navrée, Aaron, mais tu n’es pas l’homme qui hante mon esprit en ce moment. » Comment pourrait-il la croire ? Il la voyait comme une parfaite femme de l’ombre, une parfaite automate exécutant sagement chaque ordre donné. Une demoiselle qui rachète les fautes de son passé dans le présent. Il ne pouvait pas savoir les raison qui poussaient Cora à être ainsi, froide, distante, à être ambivalente en vérité, bien que ce collègue-ci n’en sache rien.

Si Perceval était apte à parler, alors Aaron saurait combien l’agent 060 pouvait être charmeuse et féline. Standford l’embêtait presque autant que Cora pouvait le faire avec Rockwood, infernale boucle de ceux qui veulent décoincer les autres. Mais la grecque faisait surtout cela parce qu’elle avait conscience de la détresse de Percy face à une femme, or il ne serait jamais heureux sans. « Je comptais rentrer chez moi, ça te pose un problème ? » Tellement tendre et affectueuse. Un véritable petit ange que la criminologue. Il connaissait sa répartie, n’était par chance pas rancunier et peu contrariable. Alors qu’était son véritable problème à son égard ? Il voulait la voir telle qu’elle ne voulait pas être vue. Oui, Cora savait rire, Cora savait séduire, elle collectionnait même les conquêtes d’une nuit… mais elle ne voulait pas que cela se sache dans les bureaux où elle était déjà surnommée poupée, et où elle n’aspirait qu’au respect de son travail, de ses compétences.

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Les chiens. Ca n’était pas franchement ce que préférait Cora. La truffe mouillée près de son mollet fit baisser la tête de la jeune femme qui lança un regard sévère. Le grognement ne sembla pas même la faire sourciller et la reine des glaces parut givrer jusqu’à l’atmosphère ambiante. Ca n’était pas le moment de la contrarier, et si l’animal vint s’installer près de son maître, ce ne fut pas pour cela que l’attention en fut relâchée. « En ce moment" ... ? C'est bon à savoir. Et qui est donc l'heureux élu de la soirée ? » « Mon job. » S’attendait-il vraiment à une réponse différente ? Non. De ce qu’il pouvait savoir de la brune, c’est qu’elle n’avait pas d’existence en dehors du Mi6, de ses missions et des criminels qu’elle devait stopper. Quelque part toutefois, elle ne mentait pas, car c’était bien un terroriste qui flottait au cœur de sa culpabilité, dans un coin de son esprit. Un type à arrêter dés qu’elle en aurait le temps, dés qu’elle le pourrait.

La rigidité de sa posture contrastait pourtant avec la souplesse que laissaient deviner ses courbes, comme si sa nature même transparaissait derrière les airs qu’elle se donnait. Sa peau de pêche permettait de deviner un potentiel de douceur, et ses longues jambes un potentiel de sensualité. La manière très maîtrisée avec laquelle elle réagissait face à Standford n’avait rien en commun avec son fort intérieur. Elle ne voulait juste pas qu’il la voit comme une poupée, comme la féline qu’elle pouvait être. C’aurait été humiliant pour celle qui ne voulait plus être connue autrement qu’en tant que professionnel. 060 avait pris le pas sur Cora Vasilis, tout simplement. C’était tout ce dont il avait besoin de savoir. Cette moue de lèvres pincées ne sembla pas heurter la criminologue d’une quelconque façon, à l’instar d’une sociopathe, elle observait froidement. Au fond, elle n’était pas du tout insensible, elle le faisait croire pour mieux se faire oublier. « Je mise maintenant sur un truc super simple et classique du genre : rentrer, prendre une douche, siroter une souper ou se commander un chinois et finir au lit à 22 heures tout au plus ... » « Une salade. » Corrigea-t-elle. C’était exactement le type de soirées qu’elle voulait qu’on lui imagine, mais elle souriait intérieurement, sans que rien en filtre sur ses traits. S’il savait quelle fut sa dernière erreur. S’il savait qu’elle jouait à séduire à la division recherche et développement, s’il savait qu’elle mettait sa vie en danger dans l’objectif idiot de racheter sa coucherie avec Zemko, le tout en permettant à une civile de fuir la colère des explosifs. S’il savait qu’en son fort intérieur, Cora n’était qu’une bad girl bridée, il ne la verrait plus jamais de cette manière cruellement ennuyeuse.

Reine de promo du lycée, elle ne l’avait jamais été. Plutôt du genre pickpocket qui tente de s’en sortir, en réalité. Et désagréable, elle ne l’était que par instinct de protection. Tout ça, c’était de la mise en scène permanente. « Allez je t'invite à boire un verre. Et pas un verre de vin blanc dans un lounge. T'es partante ou tu me conforte dans mon idée que tu es un cas désespéré de la spontanéité ? » Un sourcil se haussa à cette invitation. Etait-il sérieux ? Etait-il borné ou complètement sourd, voire même aveugle. « Tu veux me faire sortir, alors que je rentre à peine d’une mission ? T’espères vraiment que je vais céder alors que je porte la tenue la moins attrayante possible et que je n’ai pas eu ne serait-ce que le temps d’imaginer une bonne douche ? » Là, elle avait pas tort. Sortir dans un tailleur digne d’un enterrement c’était… douteux. « Tu crèves d’ennui à ce point, Standford ? » Mh. Quelle sympathie ! Il avait raison, totalement… légendaire. Un soupir s’extirpe d’entre les lèvres féminines. « J’accepte si tu me laisses passer me changer. Sinon tu peux même pas espérer l’ombre du sourire que t’attends. » Ouais… bah c’était déjà ça, non ? La Reine des Glaces ne pouvait pas fondre dés le premier rayon, après tout.

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« Un jeans, un tee-shirt et c'est bon. On s'en fout de tes fringues. Je te propose de te détendre, cool, simple ... pas un bal de promo ma belle. » Elle hausse un sourcil. Une interrogation muette. Cora l’a observé faire joujou avec le gobelet, visant la poubelle, mais indifférente, elle s’est rapidement reconcentrée sur ses mots. Des mots qui lui semblèrent parfaitement décalés d’avec la réalité. « Tu m’as déjà vue en jean ? » Non. La question était rhétorique. Pas besoin de réponse. Elle contrôlait son image, ça n’était pas pour rien. L’inutilité profonde de prendre en compte la détente comme raison de négligence lui paraissait nette. Cora ne se négligeait jamais. « C'est souvent cet état d'ennui qui provoque en moi le désir de tester de nouvelles choses, de bouger, de découvrir, ... » Pourquoi tant de distance ? pourquoi lui imposait-elle l’image lisse et plastifiée d’une fille bien sous tous rapports, au premier regard, outre les rumeurs ? Parce qu’elle avait besoin d’être autre pour se sentir vivre. Elle avait besoin de s’éloigner du passé au travers d’un masque si bien arboré qu’on ne l’imaginait pas autrement. On ne voyait pas la petite fille maltraitée. Même si certains, comme Zan, ou peut-être même Aaron, captaient la part sombre qui se faufilait par instant dans son aura, dans le fond de ses prunelles. Quelque chose de sauvage, oui.

Plutôt féline. La présence du chien la mettait mal à l’aise, comme si l’animal pouvait lire en elle comme dans un livre ouvert. Un livre dangereux à ne pas décrypter sous peine de la voir s’effondrer. Elle ne supporterait pas que les soupçons se tournent vers sa silhouette élancée, parce qu’elle avait des choses à se reprocher, parce que, malgré son statut de criminologue, elle n’était pas dénuée de failles psychiques, de fissures. « Un "oui" et la promesse de l'ombre d'un sourire : que demander de plus ?? » La brune aurait levé les yeux au ciel, si elle n’était pas un tant soit peu polie. N’en faisait-il pas un peu trop, mh ? « Je te suis alors. Et donne moi ça ... il parait que t'es un peu fatiguée. » Elle s’était simplement mise en marche, silencieuse, digne de la reine des glaces qu’il voyait en elle, et lorsqu’il voulut prendre son sac, elle le laissa faire, sans protester… parce qu’après tout, elle ne pouvait pas indéfiniment repousser sa gentillesse, ou ce qui semblait en être. Au clin d’œil, il n’y eut aucune réponse. Sans doute aurait-elle aimé lui montrer sa malice… mais c’aurait été lui ouvrir la porte d’un jardin bien trop secret pour un membre du Mi6. « Mission réussie agent 060 ? » Son pas se stoppe un instant. 060 n’était visiblement pas d’humeur. Ou quelque chose la dérangeait dans cette appellation. « Ah oui, je te préviens, tu n'as droit qu'au chemin aller et retour pour parler boulot. Un fois sur place, c'est terminé, alors profites-en bien. » Cora fronce les sourcils. Elle ne comptait pas parler boulot. Après tout, n’était-elle pas sensée avoir une vie si morne que le boulot résume son intimité profonde ? « Mission réussie. Mais je ne compte pas en parler. » Le tranchant du bloc de glace tombe sur la conversation.
Un trajet silencieux jusqu’à Mayfair. Poser le sac, changer de tenue et ressortir, remise à neuf express. Et si Cora entra dans son appartement vêtue comme chaque jour, telle l’agent qu’elle montrait sans cesse à Aaron, elle fut particulièrement différente en grimpant de nouveau dans le véhicule. Plus de tailleur strict mais un haut près du corps rouge associé à une jupe fluide noire. Pas d’arme, juste un long manteau pour se préserver d’un potentiel froid et mettre dans ses poches la carte bleue, le téléphone et son briquet, qu’elle laissait rarement loin d’elle, sans que nul ne le sache. « Je sais, nous avons une notion différente du décontracté. » préféra-t-elle signaler, prenant les devants de toute remarque potentielle. Elle n’aimait pas vraiment l’idée qu’il râle d’une quelconque façon au sujet de ce qu’elle portait. Oui, c’était différent de ce à quoi elle habituait ses collègues, non ce n’était pas coincé, et oui c’était un brin sexy. Mais en dehors du boulot, elle n’était que rarement autre chose. La séduction faisait partie intégrante de son physique, et du peu de bon temps qu’elle s’accordait. « Bien. Me voilà tienne pour la soirée. » Prometteur. A lui de décider ce qu’il allait lui infliger, elle ne pouvait plus vraiment reculer.

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