Papa est mort. Il faut que l'on se voie rapidement. Payer les dettes. Important. Cardiff, maison, demain. Le message avait le mérite d'être net, clair, concis et efficace. Edwyn hésita un instant avant de presser la touche pour l'envoyer, achevant de mettre son blouson et de sortir.
« Bon week-end » lâcha-t-il avec un sourire à un collègue, qui ne lui adressa pas un regard en grognant quelque chose lui renvoyant la politesse. Aussitôt sorti des bureaux de l'agence, les traits de l'homme semblent s'affaisser, se faire las. On croirait presque voir plus de rides sur son front, des épaules qui tombent, un regard maussade. Il entre dans sa voiture, grise et triste, démarre et sort de la ville à toute allure. Il s'arrête trois fois pour faire le plein, manger un peu, regarder le paysage, bailler. Il dépasse Cardiff, roule jusqu'à la maison. Entre temps, sa sœur lui a répondu, elle y est déjà. Plutôt surprenant étant donné que, normalement, elle travaille dans un autre pays – mais Edwyn n'a jamais trop posé de questions à sa sœur. Ils étaient cette fratrie aimante mais distante, prête à tout pour l'autre mais jamais assez pour fouiner. Il se gare rapidement à côté de la Rolls Royce, énorme voiture noire aux vitres teintées. Là, enfin, les questions lui effleurent l'esprit. Elle ne roule pas en Rolls Royce, Ludmila est plus du genre à prendre un vélo parce qu'elle n'aime pas polluer alors une grosse caisse... Mais les gens changent. Ca fait cinq ans qu'ils ne se sont pas vus, elle et Edwyn. Alors elle peut bien rouler en Rolls Royce maintenant.
Toutefois, en entrant dans la maison, il est méfiant. Mais la fatigue le rattrape bien vite, il se passe une main dans les cheveux tandis que le parquet craque, sans tressaillir. Toujours la troisième planche après l'entrée, se souvient-il. Il a grandi ici, dans cette maison. Il se souvient comme si c'était hier de la première fois qu'il a marché sur la troisième planche après l'entrée. Il avait onze ans, il revenait tout droit du port de Cardiff, après une navigation cahoteuse depuis la Russie. Un homme les avait accueillis, leur avait offert cette maison, ces papiers, cette vie. Il avait pris le nom d'Edwyn James Fogg, un pauvre gamin qui avait disparu de la surface de la terre peu avant. Tout était parfait. On ne pouvait pas remonter à eux, à moins de savoir que les Joukov ont quitté leur île pour aller vers l'Occident pour rejoindre cette vie. Le crime était presque parfait.
« Ludmila ? » appelle-t-il, fronçant les sourcils. Il fait froid, les lumières sont éteintes, un mauvais pressentiment le prend. C'est pour ça qu'on aime bien Edwyn, chez les agents de terrain, au fond. D'accord, il ne réfléchit pas beaucoup. Il ne tourne pas sept fois la langue dans sa bouche avant de parler. Il est un peu obtus, parfois. Mais il a un instinct. Cet instinct lui fait s'emparer de son arme, dans son holster. Un semi-automatique de neuf millimètres. Il vérifie le chargeur. Quinze balles. Il prend une grande inspiration, comme à chaque fois. Ses pensées se trient peu à peu puis il s'enfonce dans la maison.
Et là il le voit. Il a des yeux sombres, deux véritables charbons brûlants. Son sourire a quelque chose de malsain, de fou. Il est confortablement assis dans le fauteuil du père d'Edwyn, en train de pianoter sur l'ordinateur sur ses genoux. A côté de lui, il y a Ludmila. Elle a du scotch marron autour de la bouche, l'angle absurde de ses bras laisse penser qu'ils sont attachés dans son dos. Il n'hésite pas trente secondes, met en joue l'homme. Il le reconnaît comme si c'était hier. C'est lui. Lui qui leur avait donné cette vie, cette identité, cette maison. Lui, lui, lui. A qui il devait des sommes faramineuses. Leur père avait fait de son mieux. Mais à chaque emprunt, la note augmentait. En plus des papiers, il fallait aussi payer le passage. Le loyer. Les études. Toute cette vie, érigée à grand mal sans échafaudages, sans promesse de réussite. Le doigt d'Edwyn tremble sur la gâchette, il finit par baisser la pointe de son arme. Si il le tue ici et maintenant, la dette ne sera pas effacée. Loin de là. Si il le tue ici et maintenant, le reste viendra le chercher. Lui dérober Ludmila, Flynn, son poste, son nom, sa vie et bien plus encore.
Ils prendront ce qui est à eux par le feu et le sang. Il attend. Finalement, l'homme lève les yeux de son écran, plongent son regard d'un noir abyssal dans le sien.
« Papa Fogg est mort, les chiffres s’amoncellent et vous n'avez rien pour les réduire. » commence posément l'homme.
« Que me veux-tu ? » Il est amer, sec et terriblement perdu. Triste, aussi. Ca va certainement être pire que tout.
« Oh, rien de bien méchant, mon cher Petyr. Je suis même sûr que ça va t'intéresser. » Il a un sourire affable, sympathique.
« Quoi ? » « Pas grand chose, vraiment. Juste ton intégrité. »+
POURQUOI ES-TU PLUTÔT AVEC LES MÉCHANTS ? la question n'a de sens que si on imagine que j'ai le choix. Je n'ai pas le choix. Comprenez : si j'avais dit non, on tuait ma soeur (et certainement moi dans la foulée).Eet ma survie - surtout
sa survie - vaut pour moi tout l'or du monde, toute la puissance d'une patrie. Alors j'ai dit oui. Et si ça fait de moi un méchant, je m'en fiche. Je n'ai pas un très grand ordre de priorités mais soyez sûrs d'une chose : être aimé ou méprisé est à la dernière place. Tout ce qui compte, c'est la survie des Fogg. Et c'est pour ça que je suis plutôt du côté des méchants.
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DANS QUEL DOMAINE OPÈRES-TU ? j'ouvre l'oeil. Les oreilles. Et, plus tard, j'ouvre la bouche. Je fourre mon nez là où mon pass peut me le permettre. Je me rapproche des gens, j'en apprends plus sur eux, et je recommunique. Et, enfin, j'obéis aux directives, aussi bien de saboter que de jeter un coup d'oeil sur quelques papiers. Si on ne me donne pas un ordre clair, je ne fais rien. Mais que la directive arrive, et je l'exécute parfaitement.
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POURQUOI ES-TU UN SI BON AGENT DOUBLE ? eh bien, tout d'abord, ça vous booste un peu quand vous savez qu'au moindre faux pas, on vous tue. Je vous jure. Un vrai stimulant. Ensuite, j'ai vécu toute ma vie avec une fausse identité. Mon nom n'est pas Edwyn James Fogg. Je suis né sous le merveilleux patronyme de Petyr Nikolaï Joukov. Mais Petyr Nkolaï Joukov est mort quand j'ai posé un premier pied sur les îles du Royaume-Uni. On peut dire que j'ai menti toute ma vie, que je suis né avec une tromperie sur la langue. On peut dire que je suis bon acteur et menteur, je pense.
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ET QUELS SONT TES POINTS FAIBLES ? mon plus gros point faible est ma famille. J'ai perdu ma mère très jeune, juste après la naissance de ma soeur. Mon père, lui, est décédé il y a maintenant six mois, suicide depuis sa tour de banquier. Il ne me reste plus que ma soeur, et mon fils. Et voilà qu'on m'enlève la prunelle de mes yeux, ma Ludmila, et qu'on me fait du chantage
t'espionnes ou tu raques. Je sais que je deviendrais fou si on fait du mal à Flynn. Tout ça pour dire que toucher un seul des cheveux de ma famille me met dans le creux de votre main, aussi sûr que deux et deux font quatre.
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PLUTÔT MANIPULATEUR OU MACHIAVÉLIQUE ? plutôt manipulateur. Toujours à coucher à droite à gauche pour m'infiltrer dans le coeur des gens, toujours à séduire ou à répulser, toujours à se faire apprécier ou détester. La nature des hommes est une chose fascinante. J'aurais volontiers fait une école de psychologie, si un emprunt supplémentaire avait été possible, tant la comédie humaine m'intéresse. J'ai la prétention d'en maîtriser quelques fils et de savoir comment les tirer.
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TON OBJET FÉTICHE ? un zippo vidé de son gaz, marqué aux initiales de mon feu paternel. Je le garde constamment dans ma poche, joue nerveusement avec sans pour autant le sortir. Il me ramène à la mère Russie, à une vie que j'aurais préféré vivre.
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PARLE MOI DE TES PENCHANTS AMOUREUX ET DE TA SITUATION ACTUELLE ? sa phrase favorite (qui le faisait glousser comme un idiot étant adolescent) est
even my hair isn't straight, how do you expect me to be heterosexual ! qui résume plutôt bien la situation. Il a goûté à tout, sans rechigner, sans hésiter, le charnel n'a pas de sexe. L'amour, peut-être. Il a aimé une femme, une fois. Séparé depuis, avec un gosse sur les bras désormais. Il a aimé une femme et aucun homme. Pas très concluantes, ces trente-trois années de recherche.
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ET TON PIRE CAUCHEMAR ? la perte de ma famille. En plus de me plonger dans une folie terrible, ça me saperait aussi les dernières forces de survie que je conserve intuitivement. Je tache de ne même pas y penser, tant c'est douloureux, car cette simple évocation se solde par des frissons et des sueurs froides.
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QUE DIRE DU NOM QUE TU UTILISES POUR TES ESPIONNAGES ? petyr. Je ne l'ai même pas choisi, je vous le dis tout de suite. Il est même utilisé satyriquement par mon adoré employeur, c'est plus une moquerie qu'autre chose - et une énième menace
fais pas ce que je te dis et je tuerai ta soeur, et révélerai ton identité au Mi6. Si j'avais à choisir un nom de code, ce serait Machiavel.
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QUEL A ÉTÉ TON ESPIONNAGE LE PLUS RÉUSSI ? je refuse même de répondre à cette question.
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ET TA PLUS GROSSE DÉFAITE ? ne pas avoir su protéger ma soeur. D'être empêtré dans cette affaire. Et de ne pas pouvoir en sortir. Ma vie est ma plus grosse défaite.
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TA PIRE ADDICTION ? le Red Bull. En très, très, très grande quantité. Tout ce qui force ton coeur à battre plus vite, plus fort. Peut-être que, inconsciemment, j'ai l'envie de crever, de clamser, pour échapper à la réalité. Ou je veux simplement entendre plus distinctement mon coeur dans ma poitrine, pour m'accrocher à une invariable, un son répétitif et constant. J'en sais rien.