Le coup passe, claque. Et le silence retombe. Tu observes en silence, en catimini, la scène qui se passe devant tes yeux de gamin apeuré. Ta mère frotte sa joue, ses yeux clos, son visage douloureux. Tu voudrais réagir, faire autre chose que garder l'oeil sous la porte pour suivre l'horreur de la scène. Mais que peut faire un gamin de dix ans devant la violence d'un couple qu'on prend pour modèle ? Tu frissonnes lorsque tu remarques que ta mère t'a repéré. Son regard empreint d'une douleur qui te bousille le cœur. Honteux d'être prit sur le fait, tu cours te réfugier dans ta chambre, te cachant dans le château fait de draps et de matelas que tu t'ai construit.

La porte grinçante de ta chambre s'ouvre, dévoilant le visage de ta mère, son visage rougit. Pourtant, elle à ce sourire fiché aux lèvres, comme si elle voulait garder la face. Ou en tout cas, te faire croire qu'elle la gardait. Elle s'assoit sur ton lit, avec douceur. Elle était belle, Mélanie O'Neil. Ses cheveux châtains cascadant dans son dos, son visage fin, son regard émeraude qui vous englobait avec bienveillance et son sourire toujours amical. Tu t'étais toujours dis, gamin, que tu voudrais une femme qui lui ressembles : belle. Si fragile et, en même temps, si forte. « Asher? » Ta tête de gosse passe sous l'un des draps. « Pourquoi il fait ça hein ? Pourquoi il te fait du mal maman? » tes yeux embués de larmes serrent le cœur de la femme, et, si cela avait été possible, sans doute que son visage se serait adoucit davantage. Sa main tapote le lit, son sourire t'invite à venir jusqu'à elle et quand bien même aurais-tu ardemment désiré de t'éloigner d'elle, trop bouleversé, tu changes désormais tes plans, pour venir te nicher contre elle. « Tu sais, Ash, il arrive des fois où l'amour est si fort qu'il en devient fou. Mais je pense que les amours fous sont les plus forts. Ils font parfois du mal mais ils t'apportent aussi le plus de bonheur. Il faut juste accepter de souffrir par moment, pour une belle cause comme celle-ci. » Elle caresse ta tête, te berçant lentement. « Tu comprendras plus tard. Et tu sauras. Tu jugeras par toi-même si tu veux aimer passionnément en acceptant de souffrir où si tu préfères vivre quelque chose de moins fort sans jamais être blessé. » Finalement, elle ne te permet pas de répondre et commence à chanter. Une de ces comptines françaises que tu aimes tant. Tu t'endors au creux de ses bras chaud, oubliant la scène qui t'a troublé quelques heures avant.

Tu cours à en perdre haleine, si vite d'ailleurs, que ta gorge semble s'assécher, il est impossible de déterminer avec précision ce que tu fuis. Mais tu fuis. Tu cours sans but, tu veux seulement aller le plus loin possible, sitôt que tu as vu le couteau aiguisé étinceler à la lumière d'un lampadaire dans la nuit, tu as su qu'il fallait prendre ses jambes à son cou. Finalement, une impasse bloque la continuité de ta course effrénée et, paniqué, tu te retournes. Tu n'as pas souvent peur et tu ne saisis pas pourquoi là, ce soir, ton cœur semble vouloir s'échapper de ta cage thoracique tant il est affolé. Pourtant, lorsque tu vois le visage de ton bourreau enfin s’éclaire, ton souffle se coupe devant l'air apeuré qu'il affiche. Les larmes ruissellent sur son visage et tu ne saisis pas, jusqu'à se que ses mains ensanglantée ne te laisse découvrir une plaie béante. Elle semble te supplier. Ton regard se tourne vers ta propre main, ou le couteau qui t'avait tant effrayé est désormais niché, sali par le sang que tu sais être celui de la jeune femme. Tu ne saisis pas. Tu ne comprends plus rien et le lui spécifie d'un regard dévasté avant que le regard sombre qu'elle te lance ne manque de t'achever. Le bruit du couteau qui tombe sur le bitume gelée te fait frissonner. Et tout est terminé.

Tu te réveilles en sueur, les draps de ton lit colle à ta peau. Le silence de la pièce semble oppressant. A ton côté, c'est le souffle régulier d'une rouquine qui le rompt. Nola Dougherty. Ton cœur s'emballe. Est-ce de la peur où de l'amour ? Tu n'en sais trop rien. Chaque fois que tu la regardes, tu sens qu'au fond de toi, c'est dangereux. Dangereux de la laisser auprès de toi. Dangereux de t'attacher à son impétuosité, à ce qu'elle est. Dangereux d'aimer passer ta main dans sa chevelure flamboyante. Parce que ton cauchemars n'est finalement qu'un rappel de la triste réalité : tu es un meurtrier, O'Neil. Un putain de meurtrier qui détruit celles que tu aimes. Tu t'en souviens encore, de chacune d'elle. Chacune oui, car étrangement, ce n'était que des femmes.

Mélanie O'Neil, cette femme, ce modèle. Sa carrure, sa beauté, son amour. Elle avait tout, tout pour elle. Le monde à ses pieds. Mais elle s'était laissée empêtrée dans un mariage qu'elle disait plein d'amour mais emplis d'une telle violence que s'en était devenu trop douloureux. Dix-sept ans. Et, comme un sauveur, tu avais crus que tuer la femme qui t'avais mise au monde pouvait la libérer de la violence de cet homme qu'on disait être son mari. D'une certaine manière, tu vous avais tous débarassé du paternel, envoyé en prison, présumé meurtrier. Car qui aurait soupçonné une gamin de dix-sept ans borderline sur les bords mais sous traitement d'avoir pu détruire la seule femme qui lui vouait un amour inconditionnel ? Personne, évidemment. Jolene O'Neil, la deuxième victime, la deuxième femme de ta vie. Jolene, c'était un rayon de soleil dans la plus grande des pénombres. Elle avait la chevelure étincelante de sa mère, un humour aiguisé, une douceur sans égal, mêlé à une force de caractère presque effrayante pour sa petite taille. Elle avait comprit, un matin, quel monstre tu étais, elle avait promis de garder le secret, parce qu'elle t'aimait, que tu étais son petit frère chéri, celui qu'elle n'abandonnerait jamais. Pourtant, cette nuit là, le sommeil t'avais quitté, tel un lâche, il avait décidé de te garder éveillé, ruminant tes sombres idées. Dans ta tête, une voix vicieuse t'assure qu'elle finira par te trahir. Qu'un soir, un peu ivre, elle balancera la vérité fatidique. Les gens qui t'aiment font toujours du mal. Il suffit juste d'être le premier à faire mal. Ce soir-là, Jolene ne s'est pas réveillée. Ni les jours qui suivirent. Kitty Van Draker. La dernière victime. Le premier amour. Ces yeux qui t’ensorcellent. Un humour souvent très personnel, qui pourtant, la rendait si attachante qu'on se voyait obligé d'en rire avec elle. Elle avait la douceur d'une brise estival, parfois toutefois, la violence d'un véritable volcan. Dans le fond, elle était sans doute plus chiante qu'un chef d'armée, difficile à vivre, souvent à râler, insatisfaite chronique. Pourtant, tu t'étais attaché à elle comme à nul autre. Sans doute n'aurait-elle pas du mourir. Sans doute était-elle au mauvais endroit, au mauvais moment. Qu'elle s'était mêlé de ce qui ne la regardait pas. De ce que tu ne lui avais pas parlé : ton trouble borderline. C'était qu'une crise. Un passage de folie, où tu avais joué des poings contre le miroir de la salle de bain. Elle était intervenue, persuadée de pouvoir t'arrêter. Elle avait eut tort. La seule chose qui te vint en tête fut qu'elle avait découvert la part d'ombre inavouable chez toi. Elle avait comprit que tu étais un monstre et pour ça, pour ne pas décevoir l'amour qu'elle te portait, il te fallait la détruire. Tel un taureau, tu n'avais pas prêté attention à celle qui bercait tes jours heureux, tu avais seulement foncé là où on t'appelait. Ce fut l'acte le plus violent de toute sa vie. A la seule force de ses poings, il l'avait détruite, son visage si emplis de caractère défiguré sous le coup de tes poings colérique. Le sang s'étalait, sur le sol, tes vêtements, ton visage. Tu t'étais calmé. Quand ? Aucune idée. Tu te souviens juste qu'à un moment, tu avais cessé de frapper. Au sol, un cadavre. Lequel ? Tu avais du mal à t'en rappeler et, sous tes coups, il était devenu difficile de reconnaître qui se cachait derrière le sang et les hématomes boursouflés. Tu avais quitté la salle de bain, en transe, appelant Kitty à l'aide. C'est à ce moment là, que tout s'écroula. Tu criais son nom dans votre appartement, sans obtenir de réponse. Parce qu'évidemment, tu venais de laisser son corps inerte sur le carrelage blanc de votre salle de bain. A l'instar de ta mère et de Jolene, tu l'avais détruite, elle aussi. Parce que tu l'aimais. Un peu. Un peu trop.

L'air frais du balcon t'apaise peu à peu. Tes yeux sont clos. Tu tentes d'éloigner le souvenir de ses trois femmes. Tu essais de te persuader que c'était la meilleure chose à faire. Que par amour, tu as sauvé ta mère de la douleur, que tu as tué Jolene pour ne pas qu'elle ait peur de toi, que tu as tué Kitty pour ne pas qu'elle cesse de t'aimer. Parce que toi, tu les aimais. Oh oui, plus que tout. Et, au fond de toi, tu espérais que Nola, elle, n'apprenne jamais l'atroce vérité. Non pas que son petit-ami était un meurtrier. Seulement qu'il était borderline. Dans le fond, ta maladie était bien pire que tes crimes que tu justifiais abominablement.