Leo leva la tête de son ouvrage. Elle était persuadée qu'elle avait vu quelqu'un passer. De toute façon, c'était toujours comme cela quand on lui faisait éteindre sa musique. Ses collègues ne s'y étaient toujours pas habitués, et elle-même détestait toujours autant mettre des écouteurs dans ses oreilles délicates. Du coup, elle travaillait dans le silence, et son esprit, ayant une chose de moins sur laquelle se poser, se dispersait, de même que son attention. Elle remarquait tous les passages devant sa case, toutes les conversations au bout du couloir, le son des portes de l'ascenseur s'ouvrant et se fermant sur ses collègues... Mais aujourd'hui, c'était Ridley qui avait exigé le silence total, et elle ne le faisait pas souvent. La jeune femme reposa le regard sur son écran, et tenta de reprendre le fil. Elle avait une leçon de japonais à finir d'ici demain & plusieurs traductions, sans compter l'ordinateur qu'elle devait fouiller en long, en large et en travers. Elle relut plusieurs fois l'explication, mais sa concentration s'était envolée en fumée. Elle regarda l'heure, rédigea une petite liste des choses qu'elle avait à faire avant de quitter les bureaux du Mi6, puis se leva d'un pas décidé.
Elle ferma avec les gestes de l'habitude ses fichiers, son ordinateur, refermant étape par étape les protections qu'elle avait installées sur sa machine, et quitta la petite pièce. La seule chose qui occupait son esprit, c'était la silhouette. Plus elle y pensait et plus il lui semblait avoir reconnu celle, reconnaissable, de Dylan. Toute de noir vêtue, discrète, énigmatique. Il fallait qu'elle sache.
Son téléphone dans la poche arrière, Leo se dirigea vers la machine à café du service Recherche et développement. Elle se préparait mentalement à avaler ce liquide acre, l'espérant brûlant pour sentir le moins possible son goût amer. Depuis son entrée au Mi6, qui datait pourtant d'il y a plusieurs années, la jeune anglaise n'était jamais parvenu à comprendre ce que les adultes dans leur quasi-totalité arrivaient à trouver au café. Ce n'était pas bon. Elle haussa les épaules en souriant à un collègue qui la salua en retour et arriva enfin devant la machine à café.
Une bouteille de coca aux lèvres, c'était bel et bien Dylan. La brunette s'arrêta quelques instants avant qu'elle ne puisse être vue, et observa la jeune femme. Frêle et forte à la fois, elle la fascinait. Un léger sourire étira les lèvres de Leo avant qu'elle ne prenne une grande inspiration et son courage à deux mains. Elle s'avança de quelques pas, faisant mine d'aller vers la machine qui proposait l'affreux breuvage caféiné sans se soucier de ce qui l'entourait. Elle farfouilla dans la poche de sa veste – la veste de costard qu'elle avait adopté depuis qu'elle travaillait au Mi6, et qu'elle lachait dès qu'elle sortait du cadre professionnel – à la recherche d'une pièce à enfourner dans la petite fente qui clignotait, réclamant son argent. « Hey Dylan. » Elle jeta un regard vers la-dite demoiselle qui ne sembla d'abord pas réagir. Le bout de son doigt sentit enfin la texture froide d'une pièce. Elle s'en saisit et la mit dans la machine, appuyant à contre-coeur, mais résignée, sur le petit bouton qui portait l'inscription « café ». Sans sucre ni lait, ça allait plus vite, et d'ailleurs la rumeur selon laquelle ces deux petits compléments amélioraient le goût de la boisson n'était pas du tout fondée. Elle avait rapidement su cela, après s'être acharnée à essayer tous les mélanges possibles. Observant Dylan et son éternel coca, elle se dit dans un coin de son esprit, qu'après tout, c'était plutôt pas mal comme solution. Mais elle avait adopté l'habitude du café, et cela faisait partie de son petit rituel, même si l'absorbtion de la chose se révélait toujours un moment difficile de la journée.
Se tournant vers Dylan, elle s'adossa à un mur, d'un air aussi détaché et détendu que possible, alors que son cœur s'agitait dans sa poitrine comme celui d'un petit colibri. Pour diminuer la nervosité, elle tenta de bien se mettre en tête que ce n'était rien. Elle tenta de se rappeler ses récentes conquêtes, avec qui elle avait passé des soirées plus qu'agréables, et de prendre de la distance par rapport à sa collègue mystérieuse. Mais quand son regard focalisait de nouveau sur le visage si particulier de la consultante, son cœur recommençait à faire des siennes. C'était peine perdue, elle ne pouvait décidément pas résister à cette fille-là. Elle leva les yeux au ciel mentalement, se traitant intérieurement d'imbécile. Elle n'avait aucune chance et ce n'était pas bien. Il fallait que cela cesse. Et pourtant...
Le liquide acre et brulant coula dans sa gorge, lui arrachant une grimace qu'elle était désormais habituée à cacher. Elle reprit ses esprits et focalisa son regard sur un point du mur, juste à droite du visage de Dylan. Une fissure dessinait une sorte de fleur étrange. Un sourire étira les lèvres de Leo alors qu'elle repensait aux beaux champs de fleurs de sa ferme natale. Chassant ce souvenir de son esprit, elle pensa aux dossiers sur lesquels elle devait travailler cette après-midi. « Eh, euh, tu saurais m'indiquer par où commencer quand on doit fouiller un ordinateur entier sans savor ce que l'on cherche ? » A vrai dire, elle avait déjà commencé, très méthodique, et faisait tous les dossiers un à un, les fouillant tous de fond en comble. Mais Dylan était fouilleuse professionnelle, de ce qu'elle avait compris, et si elle pouvait obtenir un cours particulier, elle ne disait pas non...